Le Klaxon #2
Petit frère de notre « Heure de la Sirène« , le « Klaxon » viens chaque mois avertir sur les avancées de la marchandisation des associations, des investissements à impact social mais aussi sur les contre-feux proposés par les associations.
Newsletter de notre tout récent Observatoire citoyen de la marchandisation des associations et des investissements à impact social (OCMA & IIS), retrouvez les premiers numéros ci dessous.
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Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. Elle deviendra petit à petit la newsletter de l’observatoire de la marchandisation des associations en accueillant vos textes. N’hésitez pas pas à me faire des suggestions, me signaler vos infos et à enrichir cette lettre par vos contributions, textes, témoignages, réactions…
#2 – mars 2022 : Rapport Cazenave : « massifier » les contrats à impact
Le 2 mars, Thomas Cazenave a rendu son rapport intitulé « propositions pour le développement des contrats à impact en France » à la secrétaire d’État Olivia Grégoire.
Elle avait donné pour mission à ce haut fonctionnaire de lui donner des pistes pour « massifier » les contrats à impact en France. Passé par Orange et Pole emploi, puis directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron lorsqu’il était au ministère de l’Économie, Thomas Cazenave s’occupe désormais de la campagne d’Emmanuel Macron où il est en charge d’un groupe de travail sur la réorganisations des administrations.
Son rapport répète ce qui avait déjà été soulevé lors du premier rapport Lavenir en 2019 : « Opération longue », « grande complexité », « peu de valeur ajoutée en comparaison d’autres outils comme la subvention », le contrat à impact (CI) « pose de nombreuses difficultés : traitement budgétaire et comptable complexe, déficit de notoriété, absence de portage par l’administration, manque de réflexion sur l’issue du CI ». Il souligne aussi que les départements s’emparent peu du dispositif (seuls deux départements Loire-Atlantique et Gironde sont tiers payeurs dans le CI des Apprentis d’Auteuil, sinon les autres sont garantis par l’État). Quand ça veut pas, ça veut pas…
Mais hors de question de lâcher l’affaire, Olivia Grégoire parle d’ailleurs de sa « grande tendresse » pour ces outils. Elle indique laisser en vue de son proche départ en raison des présidentielles, une « maison bien rangée » : 15 contrats à impact pour un montant global de 50 millions d’euros et un rapport « très important pour structurer l’avenir des contrats à impact ». Elle souhaite les voir intégrer comme des outils ordinaires de l’action publique.
Avant son départ, elle signera deux nouveaux contrats à impact le 17 mars (voir ci-dessous). Elle espère en outre que les CI ne seront pas victime des changements politiques en soulignant qu’avant sa volonté de les relancer en 2020, leur existence a « failli ressembler à une parenthèse expérimentale ». Elle trouve intéressant le « combat culturel » qu’elle dit avoir mené avec les acteurs associatifs de « l’écosystème » sur cette logique d’impact.
Le rapport fait cinq propositions pour tenter de relancer cet « outil innovant de transformation de l’action et des politiques publiques ». Thomas Cazenave dit que sa boussole était de « faire changer d’échelle » les contrats à impact. (La fixation sur les échelles mériterait une thèse…) Il assure avoir la conviction que c’est un bon outil mais que « le chemin est drôlement escarpé, oui c’est difficile, long et compliqué » mais « théoriser les nouvelles formes de capitalisme et essayer de les faire vivre, c’est compliqué ».
Il propose donc de :
- « Mieux installer les CI dans le paysage public et administratif ». Le rapport envisage la création d’une équipe interministérielle dédiée pour accompagner les projets mais aussi promouvoir et « faire de la pédagogie » auprès des différents acteurs. Ils veulent aussi augmenter la fréquence des appels à manifestation d’intérêts et proposent « une ligne dédiée » au CI dans le budget de l’État.
- « Stimuler et structurer les fonctions d’évaluateur et de structurateur des CI », notamment en lançant des appels d’offre pour créer un « vivier » de ces acteurs là.
- « Privilégier des projets plus risqués mais avec plus de potentiels de transformation pour la puissance publique ». En clair, rendre possible une hausse des rémunérations des investisseurs pour les attirer… la fourchette envisagée va de 8% à 10% d’intérêts ce qui laisse supposer que jusque là on était, comme on l’imaginait, autour de 4% à 6% d’intérêts, ce qui n’était déjà vraiment pas mal ! (par comparaison il faut voir que les placements en bourse ont, en moyenne, des intérêts à 8,5%).
- Simplifier le dispositif. Une recommandation qui passe de rapports en rapports, pour « lever les freins et barrières », notamment par exemple en sortant du principe de l’émission obligataire que les associations lauréates doivent faire aujourd’hui mais en utilisant une technique de « cession de créances » c’est à dire promettre à l’investisseur le versement d’une subvention ( !) en fonction de l’atteinte des résultats. C’est une technique qui est testée aujourd’hui par le CI de Médecins du Monde décidément très « innovant » en la matière. Par ailleurs, pour les associations qui passeraient toujours par l’émission obligataire, il s’agirait de leur « faciliter » l’enregistrement au registre des commerces et société.
- Attirer le secteur philanthropique sur les CI pour qu’il devienne un investisseur potentiel alors qu’il est pour l’instant peu engagé, actuellement seul le CI d’Article 1 compte une fondation (Fond B) en tant que tiers payeurs et 4 dans lesquels des fondations étaient engagées comme investisseurs. Et puis imaginer de nouveaux outils financiers proches des Sustainability linked bond (il va nous falloir des experts en finance pour décrypter cela, avis aux amateurs…).
Le rapport va très loin dans la question des retours sur investissements puisqu’il avance l’exemple à l’étranger de taux de retours qui peuvent aller jusqu’à 20% de l’investissement initial ! J’interroge : est-ce que ce sont des taux envisagés en France ? Réponse de Thomas Cazenave : « L’objectif du rapport est de poser cette question là », Il explique : on ne peut pas demander à des investisseurs de prendre des risques sans leur proposer une rentabilité à la hauteur de ces risques. « Actuellement, les CI ont un faible rendement donc un faible risque ». Le rapport indique que le « taux de rentabilité interne maximum observé sur les CI français se situe autour de 4,5% ».
Olivia Grégoire répond à son tour : « Si on veut attirer des investisseurs et pour qu’ils mettent des tickets plus gros de 20, 30, 50 millions d’euros pour adresser des pans de politiques publiques, alors il faut qu’on se pose cette question du rendement en se départissant de certains a priori intellectuel ». Elle ajoute : « 20 %, c’est une idée, une proposition, cela peut être un horizon ». Et souhaite : « qu’on se départisse des considérations un peu morales sur cet enjeu de rendement ». (sic)
« L’État est patouf pour répondre à certains enjeux sociaux », pense la secrétaire d’État. Le privé peut mieux y répondre et « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre », conclut la secrétaire d’État. Le rapport propose lui des rendements de l’ordre de 8% à 10% par an. Il décomplexe donc complètement cette question. En 2016, lors du premier appel à projet pour les contrats à impact social (CIS) lancé par Martine Pinville, alors secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire, elle jurait que jamais au grand jamais la France ne ferait grimper les intérêts comme ailleurs à l’étranger puisque l’objectif des CIS n’était en aucun cas le profit… Désormais, l’affaire est entendue et assumée.
Deux nouveaux contrats et cinq lauréats
Le 17 mars, deux nouveaux contrats d’impact social étaient signés. Pour être plus précise, deux protocoles d’engagement étaient signés, car il est une autre spécificité des ces CIS rarement souligné : il ne s’agit pas d’un seul contrat signé mais de multiples contrats à signer au cours de plusieurs étapes, le protocole d’engagement de l’État en est un.
La secrétaire d’État Olivia Grégoire a, une nouvelle fois, rappelé que ces contrats ont failli, « faute d’impulsion politique », rester comme « une belle parenthèse expérimentale » avant son arrivée. De cette manière, elle indique que sans un fort portage politique, il est possible que ces contrats qui sont quand même de belles usines à gaz, retombent dans l’oubli et que d’autres outils prennent le relais pour tenter d’appliquer le principe de l’investissement à impact social.
Depuis lors, en un an et demi, 18 projets ont été sélectionnés pour un total qui dépasse les 60 millions d’euros. Au delà des deux nouvelles signatures, la secrétaire d’État a également annoncé les cinq nouveaux lauréats du dernier appel à manifestation d’intérêt : « innover pour l’accès à l’emploi » lancé en mars 2021, cette fois pour un total de 13 millions d’euros.
Les lauréats sont : Article 1, déjà bénéficiaire du premier appel à projet de 2016, ClubHouse, accompagne des personnes avec un trouble psy dans leur parcours professionnel, Moovjee Talents, accompagne des jeunes à trouver un emploi durable et à le garder dans les premiers mois… Les Eaux Vives Emmaüs, insertion durable dans l’emploi des personnes en souffrance psy et enfin Gojob, lutte contre les discriminations à l’embauche des jeunes. Une fois encore, toutes ces associations (à part peut-être Emmaüs, à voir) se présentent comme de l’entrepreneuriat social.
Ces lauréats doivent maintenant travailler avec leurs investisseurs et leurs structurateurs pour arriver au stade de la signature du protocole d’engagement qui avait donc lieu ce 17 mars pour Envie autonomie et Comme les autres. Le premier réemploie des dispositifs médicaux (type fauteuils roulants récupérés) dans une logique d’économie circulaire, le CIS doit lui permettre de « passer à l’échelle » nationale. Pour l’instant, il développe cette activité dans 12 départements. Pour cela, il obtient 5,5 millions d’euros pour 5 ans. Nous n’avons pour l’instant pas les infos sur les objectifs fixés, ni bien sûr, sur les taux d’intérêts des investisseurs.
Le deuxième, Comme les autres, est une association (son fondateur, Jonathan Jérémiasz est un ancien président du Mouves) veut « lever les freins à l’emploi » des personnes handicapées par le sport, les sensations fortes et le mentorat. Objectif du CIS : accompagner 500 personnes sur 3 ans avec un budget de 4,5 millions d’euros. Là encore pas plus d’infos pour l’instant sur les objectifs ni sur le taux d’intérêt.
Dans ces deux CIS, BNP Paribas est à la fois structurateur et investisseur, mais il y a beaucoup d’autres investisseurs : la Banque des Territoires, BNP Paribas Asset Management, le Fonds Européen d’Investissement, AG2R La Mondiale, Malakoff Humanis, INCO Invest (fondé par Nicolas Hazard, longtemps vice-président du groupe sos), Generali Investissement à Impact, SYCOMORE Impact Emploi, Sham (groupe Relyens), Esfin Gestion ou encore Abeille Impact Investing France.
Contrepoints : La Clef, le caillou dans la chaussure du groupe SOS
Nous vous en parlions dans le dernier Kaxon ! (voir ci-dessous), le cinéma associatif la Clef a été expulsé le 1er mars, le même jour, son acheteur potentiel, le groupe SOS annonçait son retrait de la vente. Nous avions alors décidé de maintenir notre débat prévu le 4 mars avec le collectif de la Clef. Nous voulions à la fois montrer l’alternative associative proposée par le collectif et décrypter les logiques entrepreneuriales qu’imprime le groupe SOS au monde associatif. Retrouver ce débat en ligne.
À lire, à voir
- La revue Ballast dans son numéro de mars publie une enquête très intéressante sur l’économie sociale et solidaire.
- La revue Frustation revient dans un article synthétique et complet sur le scandale des cabinets de conseil privés appelés à concevoir pour des sommes astronomiques les politiques publiques avec une vision de l’État en mode start-up.
- L’Uniopss a lancé en début d’année une émission télé sur le net, intitulée Solidarités TV, lors de sa deuxième émission le 21 mars, Jean-Louis Laville revient sur l’importation dans le secteur associatif des méthodes du secteur lucratif.
- Retrouvez toutes nos infos sur notre site et le fil d’actualité du CAC sur la marchandisation du monde associatif.