Le Klaxon #3
Petit frère de notre « Heure de la Sirène« , le « Klaxon » viens chaque mois avertir sur les avancées de la marchandisation des associations, des investissements à impact social mais aussi sur les contre-feux proposés par les associations.
Newsletter de notre tout récent Observatoire citoyen de la marchandisation des associations et des investissements à impact social (OCMA & IIS), retrouvez les premiers numéros ci dessous.
N’hésitez pas à transmettre vos informations sur le sujet ou à demander votre inscription pour la recevoir auprès de : marianne[arobase]associations-citoyennes.net
Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. Elle deviendra petit à petit la newsletter de l’observatoire de la marchandisation des associations en accueillant vos textes. N’hésitez pas pas à me faire des suggestions, me signaler vos infos et à enrichir cette lettre par vos contributions, textes, témoignages, réactions…
#3 – avril 2022 : La marchandisation vue de Belgique
La Belgique a perdu l’équivalent de notre loi 1901. Le monde associatif belge devait fêter en 2021 le centenaire de la loi qui régissait les associations depuis 1921. Les associations ont marqué un « non-anniversaire de la loi de 1921 puisqu’une nouvelle loi, sans aucune concertation, a décrété que désormais les associations entraient dans le code des sociétés faisant sauter la distinction entre sociétés commerciales et non-commerciales. « Les associations devront-elles désormais répondre aux normes du marché ? », interroge Geoffroy Carly, co-fondateur du Collectif 21 dans un film « 2121 hypothèses associatives » que nous présenterons lors de notre assemblée générale le 20 mai prochain.
Face à ce changement majeur, passé sans débat et dans un relatif silence, plusieurs associations se sont réunies dans le Collectif 21 pour réfléchir au devenir des associations et mener une réflexion sur l’état actuel du monde associatif.
Toutes ces associations, le Collectif 21 à Bruxelles, le Miroir Vagabond en Wallonie le Carrefour des cultures et le conseil bruxellois de coordination sociopolitique ont décidé de lancer une grande enquête dont elles présentaient les résultats le 24 mars dernier. Elles affirment que cette enquête (qui sera mise en ligne prochainement) n’est pas scientifique mais basée sur des paroles de terrain. Sur la base de cette enquête, elles veulent ensuite construire un plaidoyer en vue des échéances électorales belges qui auront lieu en 2024.
L’enquête interroge l’identité du monde associatif, sa capacité de synergie et les liens entre engagement et professionnalisation, dans un contexte où l’association est devenue une structure commerciale comme une autre. Face à ce changement législatif, elle pose la question : « rupture ou continuité ? ». Certains ont une lecture de cette transformation législative comme une poursuite d’une réalité déjà à l’œuvre depuis longtemps qui a fait petit à petit disparaître la frontière entre marchand et non-marchand.
Pourtant, vu de France, leur système de financement de ce qu’ils appellent « l’éducation permanente », équivalent de l’éducation populaire française, paraît très confortable. Les associations d’éducation permanente ont une subvention fixe définitive, établie par un texte légal qui ne peut être remise en cause qu’en cas de faute grave. Si elles ont besoin de plus de moyens, elles peuvent renégocier leur budget à la hausse… Elles se sentent donc assez protégées.
D’autres voient dans ce changement législatif, un danger puisqu’il « lève l’interdiction historique faite aux associations de se livrer, à titre principal, à des activités commerciales », écrit Mathieu Vanwelde de l’asbl SAW-B dans le livre ramené de Belgique : « Autonomie associative menacée – des défis et ambitions pour garantir nos libertés », coordonné par la FESEFA la fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes. Le plaidoyer entend mettre ce questionnement en avant.
Du côté des contrats à impact belges
BNP Paribas figure dans de nombreux contrats à impact social. La banque porte 12 projets en France, aux Etats-Unis, en Ethiopie et également en Belgique où elle a structuré et financé son premier contrat à impact en 2020. Le projet vise la réinsertion sociale et professionnelle des jeunes adultes sans abri. D’un montant de 1,7 millions d’euros, il finance le projet Back on track de l’association Oranjehuis qui intervient sur les questions de protection de l’enfance à Courtrai en région flamande. Le contrat se donne pour objectif de réinsérer 133 jeunes adultes sans abri d’ici 2023 dans la province de Flandre occidentale en s’appuyant sur le programme Housing First for Youth, qui propose un logement (et non de l’hébergement d’urgence), constituant la base du reste de l’accompagnement. Le contrat compte sur un an d’accompagnement et fixe pour objectif que 133 jeunes accomplissent le programme, 85% terminent avec un contrat de location, 40% avec un revenu d’activité ou une formation. Là encore, comme pour la plupart des contrats, aucune information sur le taux de retour sur intérêt fixés. La Belgique avait lancé son premier contrat à impact en 2014, porté par l’association Duo for a job, un programme bruxellois d’insertion professionnelle pour des jeunes demandeurs d’emploi issus de l’immigration. Depuis, une dizaine de contrats ont été signés.
Premier contrat à impact de développement
Le 28 janvier dernier, la France a signé son premier contrat à impact de développement (CID). Il s’agit d’un contrat à impact social mais cette fois versant humanitaire. Le programme, porté par CARE France, est dédié à l’hygiène menstruelle en Ethiopie. BNP Paribas finance, l’agence française du développement et le ministère des Affaires étrangères seront les payeurs finaux. Le budget de 3 millions d’euros devra soutenir des organisations de la société civile éthiopienne qui accompagneront des changements de pratiques et sensibiliseront sur cette question taboue, note le communiqué de presse du ministère. Il ajoute que ce nouveau contrat « répond à une dynamique d’innovation financière soutenant l’investissement à impact comme levier de financement des objectifs de développement durable ». En janvier 2021, il existait onze contrats de ce type dans le monde. Les 17 objectifs de développement durable (ODD) établis par l’ONU deviennent une grille de lecture pour valider ces outils à impact, entreprise à mission ou entreprise à impact (voir ci-dessous). Ils sont à la base du travail sur la « taxonomie sociale européenne » qui devra classer les activités économiques du point de vue notamment des ODD et ouvrir l’accès aux financements européens et aux outils de la finance à impact. Les résultats de ces travaux sont annoncés pour le mois de juin.
L’entreprise à impact
Après l’entreprise à mission, voilà l’entreprise à impact, un nouveau concept, qui s’inspire des entreprises à mission, proposé par le mouvement Impact France dans une tribune intitulée « Manifeste pour une économie de demain » publié en février dernier. Ce nouveau statut ouvrirait à ces entreprises le droit à des allègements de charge, des accès à la commande publique voire même des financements publics. Le mouvement Impact France imagine 50 000 « entreprises à impact » d’ici 2027. En fait, le statut d’entreprise à mission, s’il ouvrait droit à une reconnaissance d’entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS), n’allait pas assez loin pour le mouvement Impact France. Le plaidoyer pour ce nouveau statut pousse à leur ouvrir plus grand tous les marchés publics où 10% leur serait réservé. Il plaide également pour un taux réduit d’impôt, des allégements de TVA au niveau de ceux réservés aux produits alimentaires (5,5%) et l’octroi d’aides publiques… Rien que ça…
Contrepoints : La Clef, un cinéma en commun
Le 1er mars dernier, le collectif la Clef qui occupait le cinéma associatif depuis deux ans était expulsé ; le même jour son potentiel acheteur, le Groupe SOS, échaudé par la mauvaise presse suite à la lutte contre ce rachat, se retirait de la vente. Les possibles s’ouvraient de nouveau. Le 28 mars, face à une salle de la Bourse du travail à Paris remplie, le collectif a présenté son projet de reprise du cinéma. Il s’appuiera sur la création d’un fond de dotation qui recueille depuis plusieurs mois des dons : le fonds La clef Revival. Il permettra de sortir le cinéma du marché spéculatif immobilier. Le collectif vise à faire du lieu un commun, l’association La Clef en recevra la propriété d’usage et pourra poursuivre son projet. Ce dernier propose une gestion horizontale, une programmation collective de films souvent rares, fragiles, des prix libres, un soutien à la création de jeunes réalisateurs via le Studio 34, des actions culturelles vers le jeune public en lien avec les écoles et les centres d’animation culturels du quartier. Le CLIP, un réseau de lieux en propriété d’usage, va entrer dans le CA de ce fonds, tout comme Céline Sciamma ou encore Jean-Marc Zekri, directeur du Reflet Médicis. Le 28 mars, le collectif annonçait avoir reçu, pour la première fois depuis deux ans, une proposition de rencontre avec la secrétaire du CSE de la Caisse d’Epargne, propriétaire des lieux pour discuter de leur projet. Il a également le soutien financier de la Mairie et la Région IDF annonce réfléchir également à un soutien.
L’Anas dépose plainte contre la plateforme : mes-allocs.fr
Le 4 avril, l’association des assistants de services sociaux (Anas) publiait une déclaration dans laquelle elle demande aux pouvoirs publics de se mobiliser pour faire cesser l’activité de l’entreprise « mes-allocs.fr » et de toutes celles similaires. L’association des assistants de services sociaux (ANAS) a déposé plainte contre cette plateforme qui existe depuis trois ans, fondée par un jeune commercial, Joseph Terzikhan, passé par des banques d’investissement, puis par la Tech en Asie. Il a notamment travaillé pour Lazada, l’équivalent asiatique d’Amazon, racheté par Ali-baba. Revenu d’Asie en France, il explique dans un entretien en ligne qu’il a voulu monter son projet en cherchant « un impact social » et suite à des expériences personnelles, il s’est aperçu qu’il était très difficile d’accéder à ses droits, donc il a voulu faire de « l’optimisation sociale ». Il a, explique-t-il, « scanné le marché de l’aide » pour créer un algorithme qui « permet en deux minutes d’avoir une estimation des aides ». « mes-allocs.fr » se présente comme un simulateur de droits sociaux mais aussi comme un « coach de vie ». « Il est proposé aux internautes de renseigner une multitude de données personnelles pour estimer un potentiel droit à une ou plusieurs prestations sociales. Dans un second temps, le site propose à l’utilisateur que ses « experts » réalisent le remplissage et l’envoi de formulaires d’accès à ces mêmes prestations en contrepartie de frais d’inscription et d’un abonnement de 29,90 euros par trimestre », dénonce l’Anas. L’association estime que l’accès au système de protection sociale doit rester gratuit. En s’appuyant sur tout un travail de recherche, elle a établi le caractère illégale de cette pratique et déposé plainte auprès de la procureure de la République à Évry.
À lire, à voir
- Réservez votre 3 mai pour suivre le webinaire sur la comptabilité CARE proposé par la Coop des communs en lien avec le CAC
- Sur la situation en Belgique et le film 2121, hypothèses, associations, de Michel Steyaert, porté par le Collectif 21 voir cet article très complet qui revient sur la fin du régime juridique de la loi de 1921 en Belgique qui garantissait le caractère non-marchand du monde associatif.
- En Belgique, la première du film 2121, hypothèses, associations, de Michel Steyaert a eu lieu le 15 mars. Nous le présenterons lors de notre assemblée générale le 20 mai prochain et lors de notre université d’été qui cette année aura lieu à Lille les 5,6 et 7 juillet, à la MRES, réservez les dates !
- Sur la notion de biens communs, un article pédagogique de Benjamin Coriat : Biens publics ou biens communs mondiaux ?