Le Klaxon #9
Petit frère de notre « Heure de la Sirène« , le « Klaxon » viens chaque mois avertir sur les avancées de la marchandisation des associations, des investissements à impact social mais aussi sur les contre-feux proposés par les associations.
Newsletter de notre tout récent Observatoire citoyen de la marchandisation des associations et des investissements à impact social (OCMA & IIS), retrouvez les premiers numéros ci dessous.
N’hésitez pas à transmettre vos informations sur le sujet ou à demander votre inscription pour la recevoir auprès de : marianne[arobase]associations-citoyennes.net
Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. Elle deviendra petit à petit la newsletter de l’observatoire de la marchandisation des associations en accueillant vos textes. N’hésitez pas pas à me faire des suggestions, me signaler vos infos et à enrichir cette lettre par vos contributions, textes, témoignages, réactions…
#9 – décembre 2022 : Un nouveau contrat à impact dans le Nord ?
Le département du Nord s’apprête à lancer un contrat à impact social (CIS). Le 21 novembre dernier, ce projet était débattu lors d’une session du conseil départemental. La banque BNP Paribas, déjà présente sur une grande partie des contrats à impact actuellement en cours de structuration ou de mise en œuvre en France, investira 5,1 millions d’euros dans un projet de trois ans porté par l’association Positiv Planet. Cette association, lancée par l’économiste Jacques Attali, devra réaliser une étude sur les 6 500 autoentrepreneurs actuellement au RSA pour évaluer si leur projet est viable ou non. Elle accompagnera également 1000 autoentrepreneurs ou allocataires du RSA vers la création d’une entreprise pour qu’ils sortent du RSA.
Lors de la délibération du projet, les élus écologiques du département ont dénoncé une « logique de financiarisation et de libéralisation du financement de l’action sociale ». Ils se sont appuyés sur un avis rendu en 2016 par le Haut conseil à la vie associative (HCVA) lors du lancement de ces contrats en France. Il pointait « les coûts de gestion importants de ces dispositifs ». « Jusqu’à ce jour, les investissements à impact social ont constitué des instruments coûteux. Ils ont comporté des coûts de transaction significatifs que les parties prenantes doivent prendre en considération avant de se lancer […] Il n’est pas évident que ces montages complexes qui visent à organiser autrement le financement de projets se révèlent profitables au final pour la collectivité ».
Enfin, les élus du groupe écologiste se déclarent « atterrés des réponses en commission concernant le montage financier », notamment sur l’absence d’information concernant les taux d’intérêt que l’investisseur obtiendra. Comme dans tous les CIS, cette donnée reste soit totalement inconnue, soit imprécise. Actuellement, en France ces taux de retour s’étaleraient de 3% à 6%. Dans un rapport remis en 2021 par le haut fonctionnaire Thomas Cazenave, qui avait pour mission de simplifier ces outils financiers pour mieux les déployer, il était proposé d’augmenter ces taux d’intérêt jusqu’à 10%…
Actuellement, ce contrat est dans sa phase de structuration, vue la durée de cette phase dans les autres contrats à impact, il semblerait que le lancement opérationnel du programme, annoncé par le département pour janvier 2023 soit très ambitieux. «Il n’est pas sérieux de nous demander d’engager le département pour un programme de 5,1 millions d’euros dans un montage exotique sans plus de précision », alertent les élus écologistes qui dénoncent une sorte de « dette cachée pour le département ». D’autant plus, soulignent-ils, qu’il existe déjà un programme d’accompagnement personnalisé de jeunes entrepreneurs, proposé par la chambre de commerce et d’industrie qui pourrait se renforcer par un volet insertion. « Pourquoi externaliser une mission de service public qui pourrait être exercée par le Département via nos tout nouveaux « coachs emploi » ? », questionnent les élus. Les trois groupes d’opposition, PS, PC, écologiste, ont voté contre cette partie de la délibération ce qui n’a pas suffit à la rejeter.
L’investissement à impact social
Lors du lancement de l’observatoire citoyen de la marchandisation, le socio-économiste, Sylvain Celle explique cette notion. « L’investissement à impact social est le principal cheval de Troie de la marchandisation du secteur associatif. La notion de mesure d’impact social tend depuis quelques années à remplacer l’ancienne catégorie d’utilité sociale utilisée par les associations et les pouvoirs publics depuis les années 80. Ce passage du terme d’utilité sociale vers la notion de mesure d’impact social n’est ni neutre, ni anodin.
L’investissement à impact social et la mesure d’impact social ont été largement promus par deux acteurs : d’un côté par les pouvoirs publics qui sous l’impulsion du New public management sont poussés à agir et penser comme des entreprises privées donc vont utiliser le langage de l’investissement, de l’évaluation, etc… De l’autre côté, il y a des acteurs financiers comme des banques et des fonds de pension qui cherchent aujourd’hui à réorienter leurs investissements vers le social, devenu un nouveau secteur lucratif.
L’investissement à impact social, si nous reprenons les termes utilisés par ces deux promoteurs, est « un investissement qui allie explicitement retour social et retour financier sur investissement ». L’exemple emblématique de ce type d’investissement est le contrat à impact social. Dans ces contrats, les pouvoirs publics – une collectivité territoriale ou l’État – vont faire appel à des investisseurs privés comme des banques pour financer des programmes sociaux, mis en œuvre par des associations. Ces associations vont se voir fixer des objectifs mesurables. Si les objectifs sont atteints à l’issue du programme, les pouvoirs publics remboursent l’ensemble de l’investissement à l’investisseur privé avec intérêt.
Pourquoi les pouvoirs publics ont recours à ce type d’outil ? Auparavant, ils finançaient directement ces politiques sociales, avec ce nouvel outil, il ajoute un intermédiaire : l’investisseur privé. Quel est leur intérêt ? L’argument avancé est que les pouvoirs publics n’ont plus d’argent et font donc appel à des investisseurs privés qui leur avancent de l’argent. Ils soulignent par ailleurs qu’il existe un risque à financer de nouveaux programmes innovants sans qu’ils n’atteignent leurs résultats.
Dans le cadre des contrat à impact, l’argument est que l’investisseur privé prend ce risque à la place des pouvoirs publics et que si les résultats ne sont pas atteints, on ne rembourse pas complètement les investisseurs ou bien ils n’obtiennent pas de taux d’intérêt. En réalité, le risque pris par l’investisseur est minime.
Intervention de Sylvain Celle, socio-économiste, lors du lancement de l’Observatoire à la fête de l’Huma le 11 septembre 2022.
Marlène Schiappa signe son premier CIS
Le 8 décembre, la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et de la vie associative, a signé son premier contrat à impact social (CIS) avec Envie économie, réseau d’insertion par l’activité économique, qui propose de collecter, réparer, reconditionner des appareils médicaux (type fauteuils roulants, lits médicalisés…) puis de les revendre à moins 70%, 50% de son prix neuf. Ce projet entrait dans l’appel à projet sur les CIS lancé par l’Ademe en 2020. Envie autonomie avait déjà signé un protocole d’engagement en mars 2022. Ce CIS doit lui permettre de « changer d’échelle » pour passer au niveau national (voir Klaxon n°2). Pour cela, il obtient 4,9 millions d’euros pour 5 ans. Ses indicateurs sont posés : créer 204 emplois dont 95 en parcours d’insertion ; éviter l’émission de près de 14 000 tonnes de CO2 en reconditionnant du matériel ; recycler 4083 tonnes de matériel. Les investisseurs sont BNP Paribas, Asset Management, la Banque des territoires, le groupe Relyens, Esfin Gestion, Inco Invest, AG2R la Mondiale. Ce CIS sera évalué par le cabinet Citizing.
Le Groupe SOS et ses mille cafés
Le programme « 1000 cafés » lancé par le groupe SOS proposait de « réinventer le café du village » en accompagnant des projets de réouverture de commerces de proximité sous forme de cafés multiservices. Le programme est financé par des fonds propres au groupe SOS, des entreprises privées (comme par exemple Pernod Ricard, Kronenbourg, Coca-Cola, LeBonCoin, Veolia, le PMU, la Maif et la Sacem). L’Etat finance également via l’agence nationale de la cohésion des territoires.
Le programme doit mettre en lien des mairies volontaires qui proposent un local, loué ou racheté par le groupe SOS. Ce dernier finance un salarié sur la base du smic pour tenir le commerce. « Le projet « 1 000 cafés » commence par de belles promesses avec la visite du délégué régional de SOS pour se faire une idée du village, vérifier le bâtiment commercial, l’état du matériel, le logement… Puis les négociations s’ouvrent sur le prix d’achat ou de location du site, sur les travaux et sur la rémunération. Les élus découvrent aussi rapidement qu’ils n’ont pas toute la maîtrise du projet. A La Dornac, le maire a appris après leur recrutement que les futurs gérants de La Table des saveurs n’avaient aucune formation cuisine. Ce qui a provoqué de houleux débats entre les élus locaux », soulignait en 2020 un article du Monde sur ce programme. Il s’interrogeait sur le fait que la « SAS « 1 000 cafés », signataire de tous les contrats de gérance, tisse ainsi un nouveau réseau de commerces avec licence IV, avec ses fournisseurs et les salariés d’une structure dont l’associé unique est « 1 000 cafés ». Le Groupe SOS joue le rôle d’administrateur et de centrale d’achat ».
Pour faire face à cette nouvelle toile tissée par SOS, des cafés collectifs bretons de proximité ont signé un texte pour s’opposer à cette méthode qui « vient vider de leur substance des initiatives reposant sur une mobilisation citoyenne et locale ». A son tour, dans son blog d’Alternatives économiques, Michel Abhervé publie le texte de Coralie Villaret anthropologue et actrice du dispositif 1000 cafés de juin 2021 à mars 2022. Elle témoigne de son expérience mais également de celle de plusieurs autres démissionnaires de ce programme. Ils dénoncent des « dérives possibles, propres à ce dispositif et son fonctionnement ». Le texte souligne notamment le fait que l’initiative arrive d’en haut et s’impose au territoire « hors-sol et sans véritable cohérence avec les attentes locales ». Il critique une « logique de rentabilité avant tout », guidée par un référent 1000 cafés issu des écoles de commerces et de management, très éloigné du terrain et fixé sur le suivi financier du projet. La structure doit pouvoir rapidement être capable d’assumer ses charges mensuelles et les gérants sont mis « sous une pression constante ». « Par conséquent, les conditions de travail sont indécentes et tout est haché, bricolé et à l’arrache », souligne le texte.
Dans ce contexte, il n’existe plus aucun temps, énergie ou capacité de travail pour penser une programmation, des ateliers, des activités avec les habitantes et habitants… Le lieu n’est vu que comme « un simple commerce qui doit produire de la rentabilité pour se maintenir économiquement, sans réelle volonté de faire émerger une dynamique sociale et citoyenne ». Bien loin des promesses affichées.
Contrepoints : En vue, le premier rapport de l’observatoire
L’observatoire citoyen de la marchandisation des associations prépare son premier rapport qui devrait sortir en début d’année prochaine. Conçu en deux parties, la première visera à décrire le processus de marchandisation, sa définition, son histoire. Si les conséquences de cette marchandisation sont grandes pour les associations directement concernées par les appels à projet, les marchés publics ou l’arrivée dans leur secteur d’acteurs du privé lucratifs, elles touchent également tout le champ associatif par des injonctions à la performance et à des logiques de concurrence, en floutant les frontières entre entreprise et association.
Une deuxième partie du rapport plongera dans le processus de financiarisation marqué par l’arrivée de la notion d’investissement à impact qui prône que désormais il est possible de « faire le bien et du profit ». Le contrat à impact social reste l’un des principaux outils de cette nouvelle finance.
Qu’entendons-nous sous ce terme de financiarisation ? Le développement du capitalisme est passé par sa période industrielle où l’augmentation du capital s’appuyait sur celle de la production et donc l’investissement devait s’intéresser au développement et la modernisation des capacités de production. Désormais, la financiarisation du capitalisme n’exige plus ce passage de l’argent par de l’investissement productif. La simple circulation de l’argent, dans des investissements à court terme, augmente le capital par la spéculation. Ce système créé donc des sortes de bulles financières et oblige à la multiplication des outils financiers. L’investissement à impact ouvre, dans ce cadre, un nouveau marché pour permettre l’expansion de cette financiarisation.
Soutenez l’observatoire citoyen de la marchandisation des associations
2022 a vu se concrétiser notre observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA). Il faut maintenant avoir les moyens de finaliser, publier, diffuser notre premier rapport. Si votre association ou vous-même souhaitez contribuer à ce travail collectif (et en être les premiers lecteurs/lectrices), vous pouvez participer à notre souscription via ce lien.
Merci d’avance !
À lire, à voir
- Une grande enquête sur les fonds dits « durables » menée par une dizaine de médias européens -dont le Monde- a décortiqué le contenu de 838 d’entre eux. Ces fonds promettent des placements qui allient impact écologique positif et retour sur investissement confortable (cela ne vous rappelle rien ?). Ces placements attirent les foules (riches) et ces dernières années, ces produits « verts » ont explosé. L’enquête dévoile que ces placements, non seulement restent très éloignés du vert, mais financent même parfois des entreprises très polluantes.
- Dans une tribune publiée par Le Monde le 27 novembre, Jean-Louis Laville complète la réflexion portée par l’enquête ci-dessus. Selon lui, « la collusion entre élites économiques et politiques entretient l’inaction face aux dérèglements climatiques ». Les faits viennent sans cesse contredire le « récit d’entreprises qui seraient devenues conscientes des risques globaux ».